L’un des points communs de l’architecture et du paysage est sans doute dans le «voir» — voir de l’architecture, voir du paysage, voir de la perspective. Fenêtre, point de vue, point de fuite, plan quadrillé, ces éléments de la perspective sont mis en question dans l’espace des conceptions d’Alvar Aalto, qui, à l’échelle unique de la perspective, substitue une multiplicité d’échelles. En outre, l’examen des peintures de cet architecte permet de montrer que le sujet fixe, concepteur et observateur, de la perspective, a été remplacé par un sujet mobile : ainsi multiplicité d’échelles et mouvement du sujet s’opposent à la statique de la perspective et à l’homogénéisation de l’espace de la grille cartographique. Alvar Aalto fournit de nouveaux modes de concevoir et de voir architecture et paysage. Citer ce document / Cite this document : Boudon Philippe. Paysage de l’architecture. Architecture du paysage. In: Les Annales de la recherche urbaine, N°18, 1983. Des paysages. pp. 142-155; doi : https://doi.org/10.3406/aru.1983.1077 https://www.persee.fr/doc/aru_0180-930x_1983_num_18_1_1077 Fichier pdf généré le 23/04/2018 Paysage de l’architecture Architecture du paysage Philippe Boudon « Qu’est-ce que le paysage ? » La question, aussi crûment posée, est sans doute riche de tout un avenir incapable d’y mettre un terme. Aussi bien que cette autre : « Qu’est-ce que l’architecture ? » Pourtant, de leur mise en rapport, on espère jeter quelque lumière sur le paysage de l’architecture comme sur l’architecture du paysage. Peut-on accepter en effet que l’un commence ou l’autre s’arrête, au seuil de la maison, à la porte du jardin ? Une fois entrés dans la maison, tout cesserait-il de faire paysage ? Au sortir d’elle, l’architecture cesserait-elle ? Une interrogation sur le paysage ne saurait selon nous faire l’économie de celle de son rapport à l’architecture. Comment y procéder? [Fig. 1.] L’oeuvre d’Alvar Aalto — par une intuition que nous avons élucidée plus tard — fut d’abord ressentie comme un sujet de réflexion particulièrement pertinent pour envisager la question du rapport architecture-paysage : la maison Carré, construite à Bazoches en 1956 [fig. 2, 3, 4], n’est-elle pas à elle seule et globalement un entier regard sur le paysage ? Et n’y entre-t-on pas, dès son seuil, sur les paysages de peinture qui y sont exposés, forçant le visiteur à un passage obligé — la peinture — pour accéder au paysage ? Par le détour de sa qualité de peintre — et par celui de sa peinture elle-même — , Aalto ne nous permettrait-il pas de mieux comprendre le(s) rapport(s) architecture-paysage ? A noter — malgré l’apparence empiriste et intuitionniste d’une telle démarche — qu’elle s’accompagnait secrètement d’un certain souci d’historicité : outre « architecture » et « peinture », un troisième terme paraissait intimement lié à l’idée de paysage : la «perspective». Le paysage n’est-il pas culturellement, peu ou prou, pour chacun de nous, quelque part, une fenêtre ouverte sur la lnea tcuornes?t rHucistteourri. quement, fenêtre d’architecte dont Brunelleschi fut l’inventeur, mieux vaudrait dire 142 Les Annales de la recherche urbaine, n° 18-19. — 0180-930-X/83/l42/5 $ \ paysage de l’architecture, architecture du paysage Enfin, notre projet de travail était architecturologique, entendant par là que nous visons une connaissance de l’architecture en tant que projet. Le paysage en tant que tel devait bien prêter son concours à notre réflexion sur le projet, sans préjuger que projet architectural et projet paysager fussent la même chose ni, a contrario, qu’ils n’aient rien à voir ensemble. Et, à tout le moins, voir est ce qu’ils ont à voir. D’où la question — ou plutôt les questions — de notre recherche : « à quelle(s) échelle(s) ces voir ? », voir de l’architecture, voir du paysage, voir de la peinture, voir de la perspective. Et la réponse, suite à l’analyse : tout se passe comme si Alvar Aalto mettait en question les données de la perspective et son échelle unique1 — cube, fenêtre, plan qdu’éacdhreillllée,s . point de vue, point de fuite — pour s’en jouer et mettre en oeuvre une multiplicité La perspective est une échelle en ce qu’elle est une certaine règle pour fixer les mesures. Ainsi le quadrillage, c’est-à-dire la régularité des espacements en profondeur, est-il à ce titre indispensable : sans lui, pas de lecture possible de l’espace représenté par la perspective en tant que tel : «Le pavement en échiquier court désormais réellement sous les figures, devenant ainsi l’échelle de toutes les valeurs spatiales…» (Panofsky.) l’ex1.p rOenss iotnr oeunv ercae dsaennss dle ‘«éTcrhaietlél e d’parecrhsipteeccttiuvree» . (1858) de Léonce Reynaud, professeur à l’Ecole polytechnique, 143 faire savoir faire Perspective lsccrqquddduLpnnaiaoeuuneuenéaao rpnl straeo LCAueefro dusslan seopreérav ttrlr fp nnasoé tiliteeaiel trèoq isêsrtrla cnnsulltendutrimantuceéêadrtarvaai, ro, stn ecu meuêed : d rm ,atrnmtcd ir ueeul essaeeedt,eivnsp b oeu nll isopTalnleaiu qi,d olnaev eag d uunseng nctlstfu serneviedesee aoae sgu uié-,e mubi a lfdenn tle rpni’dlenei en d eeeDeosecnrsSdstd nsneoat oaü yêa eie ucmpeintt p nrpsr tolraeu oo seal eeonéuedxutahnicdd rrt,mntxi ir’ toesoru’ts)cprat a,p frntuioaenesb lsne«aeeirnteét ruueo zc.gcs lé dsin oereé tuecvpdMple int ésidsh’ltaanevaéedp ltat irnaé ie ucceio’lalttimulrtpaae.tnunlsn ,l rnneeoi ,enàs ueivt.si ti é dnednn.s»cdeeqecp neueU tomt?eèu.Lu oinr pssn srnanbi dae ot nsd(ldoeeilé niuiSeprtarte t qdursto oéeir qu séat ild culuo irutlrladatesdreéiaiu eat eise ss ipvrotrsirfd sssssèrn eeétdiuiaeeacpmteg era niri osot nmsntnpvae,emsmiprd tleé.i rnui iaeresrgsenétemtivc aés avsCéssutà étrte fd uaeuitd e,iinddnvao ri deobelçootnd’eteé n aeeeonne.e d ètusm,, ln p, tssue ltp e àQ ll fpepraluaald -deueamprueennmn nesrrr o’m esêopp eoéeraê p tlluinaltrutemerddêtarrsa se emneit eépe ,ejsàmss.n cse(o ,he trté d uupUlerd e-oèd cuu nnoieldmigrnenedll mcise ‘lleinn eueTteeil mqp soeet asntsuuc lso snsnnu aaroeeei d disrg snun dnu.qniie f)epunfesluo’t t dée et efl neintvdaud rréS nalsiuêeseurss’aari aetu eopsecne eanrsv,n nctne opàetpuccitcct p mo iae eehetn làdoncp rssiapaf faive ‘s senAanicotqimepqpxrsoogrt ul ue repbn [nmése.’aicfoei ie,d snf itlft negrsdUie fitue ode.vtdei e tn nnréfdéi ce i5p,evuarsedèct,l ]c ei’ eéséu,eétrcdr svsrruelliceém.ea lmuié,t rerlortA i mel,Blerrairidpe leastbrseiees al p lè es-loanntedraefc inllnorteessteaà,i Pourquoi donc cet artifice de considérer ce plan comme le plan de construction d’une perspective derrière une fenêtre ? C’est que la fenêtre existe bel et bien, grande fenêtre de la façade du Turun Sanomat [fig. 6]. Mais, derrière cette fenêtre, le spectacle offert n’est pas un paysage dont les mesures seraient réglées par une perspective, mais une page de journal dont les espacements et mesures sont décidés par les typographes, utilisant pour cela, de fait, d’autres échelles que la perspective : l’échelle symbolique notamment, puisque les gros titres tirent d’elle leur grosseur, de même que la façade du Turun Sanomat comporte cette grande fenêtre, «grande» en raison de l’échelle symbolique (il fut un temps où la peinture elle-même réglait la dimension de ses personnages par une échelle symbolique, et non par l’échelle que constitue la perspective). En même temps, donc, qu’il ouvre une fenêtre, Aalto substitue à la perspective sur laquelle elle donne un plan dimensionné autrement que par les règles de la perspective. Autre jeu sur la fenêtre, on en trouvera encore si, par exemple, on considère le schéma 1 comme représentant schématiquement le plan d’une perspective : chacun verra en x le lieu du point de vue, et en y et z le lieu du tableau. Superposé au plan de l’atelier d’ Aalto [fig. 7], il se trouve contredit par lui : le point de vue est situé tout au long de la courbe y’z’, là où se développe la fenêtre en longueur, et le point x’ est le point vers lequel est dirigé le regard (schéma 2). x Schéma 1 Schéma 2 144 faire savoir faire Fenêtre et tableau sont permutés… si l’on peut dire. On trouve aussi dans l’oeuvre d’Aalto des fenêtres qui n’en sont pas ; ainsi celles de l’auditorium d’Otaniemi : de l’extérieur, elles se donnent comme des fenêtres, une coupe nous montre qu’il s’agit de lanterneaux. La fenêtre va elle-même initier la mise en question d’un autre élément : le point de vue. Ainsi, au MIT [fig. 8], la sinuosité générale du bâtiment va s’engendrer du désir de faire varier les points de vue des étudiants sur la Charles River. Mais, si la sinuosité ici est voyante, elle est aussi visible, et les variations qu’elle engendre sont produites par le déplacement du point de vue dont Aalto nous montre en plus d’un cas l’effet : ligne de faîtage de l’usine de Vaskaus, ondulation de la paroi interne du pavillon de New York [fig. 9] et d’innombrables parois ici où là qui visiblement ondulent sous l’effet du déplacement. Le jeu comporte aussi la négation du déplacement : à Wolfsburg [fig. 10], la diminution de taille des auditoriums accompagne l’approche et correspond au passage d’un visible lointain à un visible proche. Aussi, à Helsinki [fig. 11], un bâtiment à une extrémité est à l’échelle de son voisin ; à l’autre extrémité, il est à l’échelle de son autre voisin. On pourrait tenir ce bâtiment pour l’un des plus questionnants de l’architecture moderne, pour ce qu’il met en question l’unité de l’objet face à la pluralité des situations du sujet. La conscience du déplacement du point de vue qu’a Aalto, il suffirait enfin pour s’en persuader encore, si c’était nécessaire, de regarder le dessin au sol du cheminement dans le jardin du sanatorium de Paimio [fig. 12]. Après le quadrillage, la fenêtre, le point de vue, il nous reste à voir ce qu’il en est du point de fuite. En plan, les logements de Sûnila [fig. 13]. A première vue, le sentiment que les directrices sur lesquelles il est établi convergent vers un point de fuite est démenti, le point de fuite fuyant toujours plus loin. De même, à l’intérieur de l’église de Wolfsburg [fig. 14], le plafond comporte les directrices d’un plan qui vont se rejoindre en un point de fuite, mais une courbe soudaine en coupe fait véritablement « plonger » le plan et fuir le point de fuite. Quadrillage, fenêtre, point de vue, point Adea lftuoi.t e, les éléments de la perspective sont mis en question dans l’espace de conception d’Alvar Qu’en est-il maintenant d’une « perspective » au sens propre du terme, telle celle du hall du musée de Reval [fig. 15] ? Le quadrillage y est symboliquement présent « au premier plan ». Mais, en réalité, la régularité des espacements, dont on a dit qu’elle était indispensable à la perspective, est ici, dès l’abord, mise en question : la diminution de la longueur des marches [fig. 16] ne s’inscrit pas comme donnée dans une métrique appréciable qui nous permettrait de savoir de combien elles diminuent dans l’espace en fonction de l’éloignement : si, comme le dit Panofsky, la répétition d’une même mesure est indispensable à l’appréciation de la diminution due à l’éloignement, ici la diminution dans l’espace à trois dimensions qui est représentée ne permet pas d’évaluer cette diminution. La perspective est ici à la fois dans la représentation et dans l’espace représenté. S’agirait-il d’un trompe-l’oeil comme dans le cas, par exemple, du palais Spada2? Sûrement pas, puisqu’il faudrait assigner une position au spectateur, alors qu’il peut, non seulement se déplacer, mais parcourir l’espace en sens inverse de la diminution et voir ce qui serait une « perspective à l’envers ». Ce qui, encore ici, nie d’une autre façon la perspective. Ramener l’analyse de l’oeuvre d’Aalto, comme on l’a fait ici, à son unique rapport à la perspective pourra paraître aussi réducteur qu’une perspective, qui limite elle-même la vision d’un espace à la vue qu’on serait supposé en avoir d’un unique point de vue fixe. A vrai dire, l’ensemble des observations converge à ce point (si l’on peut parler ainsi s’ agissant de déconstruction de la pde’Arsaplteoc.t ive) qu’on ne peut manquer d’y voir, je crois, une préoccupation constante de la conception Examinons maintenant sa peinture : celle-ci nous fournit-elle une perspective (encore cette métaphore!…) sur le paysage et son architecture (et cette autre)? 2. Trompe-l’oeil architectural de l’architecte Borromini. 146 paysage de l’architecture, architecture du paysage Peintures Faut-il voir la table d’ Aalto qui précède la vue sur le paysage en plan ou en perspective [fig. 1] ? Cette question ne nous est apparue, concernant la table, qu’après l’examen des peintures d’ Aalto. tCaeblllees. -ci, en fin de compte, nous ont posé cette question-là — et cette question elle-même éclaire la Soit, en effet, dans l’ouvrage publié par Bernard Hoesli, Alvar Aalto. Synopsis, un ensemble de peintures dont il est dit que les illustrations ont été composées par Aalto lui-même. Peintures abstraites, apparemment. Comment les voir ? Le sentiment que, tout abstraites qu’elles soient, elles reproduisent des bâtiments est induit et en même temps confirmé par le voisinage des photos de bâtiments ou des dessins et esquisses. Que la peinture [a], qu’on soupçonne être une masse bâtie (pour le poids du volume noir reposant sur un socle couleur de terre marqué par des assises horizontales sur lequel reposerait une masse d’un vert végétal au-dessus de quoi flotteraient des blancs et des gris nuageux) en soi me semble confirmé par la présence de la photo [b]. Que la peinture [c] soit d’une couleur ocre identique à celle du plan [d], que s’y promènent des traces aux allures de chemins et que s’y étagent quelques coups de pinceau larges, parallèles nous donne l’indice d’une lecture de l’image à opérer en plan. faire savoir faire Que la diversité des orientations de structures localement parallèles [e] évoque le plan du sanatorium de Paimio semble confirmé par le voisinage immédiat [f] d’une vue aérienne dudit sanatorium (suivie encore d’un détail de la même peinture [g]). Dans ce cas, la peinture, bien qu’«abstraite », est bien à voir, semble-t-il, en plan ou en perspective. Le parcours des diverses peintures d’Aalto donne ainsi beaucoup à hésiter sur le point de vue à adopter, et il faut s’accrocher, comme on vient de le faire, à des indices de voisinage pour choisir le point de vue. Mais, parfois, l’interprétation que l’on peut avoir n’est pas confirmée. Par exemple, une lecture analogique de la peinture [h] ne manque pas d’évoquer le plan d’un bâtiment d’Aalto ; elle en procède par divers traits caractéristiques : si on la rapproche par exemple du plan [i], on observe de tels traits communs : — voisinage de deux parties bien distinctes et traitées bien différemment ; — une partie structurée en fibres parallèles avec des saillies coulissant plus ou moins ; — une partie dont le contour change de nature à mesure qu’on le contourne, rectiligne d’un côté, courbe de l’autre ; — une sous-partie en appendice, soumise à un code géométrique encore différent ; un—e nuonu veeslplea cec ocurléeéu rp.a r le voisinage de deux parties qui prend une existence autonome marquée par On pourrait presque dessiner le bâtiment correspondant au plan suggéré en plan par cette peinture. Pourtant, c’est la photo de l’usine de Sünila qui voisine avec cette peinture, série d’horizontales s’étirant au bord de l’eau. Dans un premier temps, le regard informé par cette photo, se reportant sur la peinture, retrouve l’étirement d’une série parallèle qui pourrait renvoyer à la vue en façade lointaine de l’usine sur la photo. Reste cependant la grande plage blanche de la toile. En plan, ce pourrait être la surface de l’eau. Dès lors, on ne sait plus s’il faut voir la peinture « en plan » ouI r«reatnio nfnaçela d? e». h X “X X X “”X Lj 1 paysage de l’architecture, architecture du paysage «Dans de pareils cas, j’agis d’une manière complètement irrationnelle, qui est la suivante : j’oublie pour un moment tout l’écheveau de problèmes, je le raye de ma mémoire et je m’occupe de quelque chose qui peut être, au mieux, caractérisé comme de l’art abstrait. Je me mets à dessiner en me laissant entièrement guider par l’instinct, et tout d’un coup l’idée principale naît, point de départ qhuari mroanssieem. ble les différents éléments souvent contradictoires nommés ci-dessus et les met en «En projetant la bibliothèque de la ville de Viipuri, je vis des dessins d’enfant représentant une montagne imaginaire avec différentes formes sur les versants et une quantité de soleils comme superstructure céleste, lesquels éclairaient les divers côtés de la montagne d’une lumière égale. En soi, ces dessins n’avaient rien à voir avec l’architecture, mais de ces dessins, apparemment enfantins, naquit pourtant une combinaison de plans et de sections dont il est difficile de décrire l’entrelacement qui décrit l’idée fondamentale de la bibliothèque. Cette idée fondamentale consistait à grouper les salles de lecture et les salles de prêt des livres, sur des plans différents — comme sur le versant d’une montagne — autour d’un contrôle central situé au faîte du bâtiment. Et au-dessus un système de soleils : les lanterneaux lourds et coniques. » Ce texte est d’une grande importance : d’abord, il signifie la situation de l’architecte dans un espace de conception qui n’est pas celui de la représentation architecturale classique, « section plan » dont l’architecte s’évade pour concevoir. Cet espace de conception échappe à la conception rationnelle de l’espace. L’«entrelacement » plan/section est «difficile à décrire». La montagne imaginaire a différentes formes sur ses versants. L’objet n’est plus le cube informe de la perspective, il est un objet qui varie suivant le point de vue. Ce propos d’Aalto confirme ici l’analyse faite plus haut. La tache noire de la peinture [k] évoque — si elle est en plan — différentes couleurs sur ses limites, comme la montagne de diverses formes sur ses versants, comme aussi la façade [1] détermine différents lieux sur ses bords. Le point de vue n’est plus fixe, et le soleil, unique point de fuite de la réalité qui corresponde au point de fuite unique situé à l’infini de la perspective classique, se démultiplie. On ne sait plus si c’est la toile qui fait le paysage ou le paysage qui fait le tableau : la photo [m] voisinant [n] semble nous montrer comment voir la peinture, mais c’est par le passage du bâtiment dans l’obliquité du plan de la photo. L’objet peut ainsi être vu à diverses échelles qui communiquent les unes avec les autres : le simple changement d’échelle de la lecture du plan est déjà l’amorce d’un changement de point de vue sur l’objet : [o, p]. L’objet n’est plus soumis à l’éclairage d’une source unique. Les soleils se démultiplient, les lampadaires aussi. Ils offrent une diversité d’éclairement que traduit bien la variété des lampadaires inventés par Aalto. Deux d’entre eux paraissent spécialement mettre en question le cône de l’éclairage à la villa Carré. Dans l’un d’eux est adjoint à ce cône un cône perpendiculaire —for pmoeu rs ianuutaenuts ec edtoten tf oils’a rqbui’torna ipreu isesset péatrolnern adn’utn. cône, sa directrice n’étant pas circulaire, mais d’une Pourtant pas si arbitraire lorsque ces espèces de jumelles regardent la pente. Dans l’autre cas, il s’agit plus simplement, mais plus nettement, d’une inversion du sens vertical haut-bas ou bas-haut du cône par le voisinage des cônes en sens contraire. Comme dans le cas précédent, mais autrement, le schéma de la perspective est ici mis en question. Dans un rapport de recherche précédent3, nous écrivions le lien qu’il fallait voir entre la cartographie et la perspective : «Il n’y a de perspective possible qu’à partir d’un plan. Cette vision planaire — qui pourrait aller jusqu’au planétaire — s’exprime en général par des cartes “à différentes échelles” et doit être ici liée à la question de la perspective : de même que la perspective établit une échelle de dimensions qui, fonction de la distance, est compatible avec l’idée d’une succession de plans parallèles au tableau, qui sont les lieux successifs d’une échelle homogène, de même les représentations cartographiques 3. Ph. Boudon, Ph. Deshayes, la Question du paysage à Houston, AREA, Paris, 1980. 151 paysage de l’architecture, architecture du paysage — médiations indispensables de tout zoning — peuvent être des objets de représentation à différentes échelles homogènes. Au cône de vision horizontal de la perspective correspondrait le cône de vision vertical de la cartographie qui — c’est du moins l’hypothèse faite ici — participe de la même structure de représentation4. Entre les plans successifs de cartographie, nous ressentons la commune mesure d’un espace homogène : l’espace perspectiviste5. » Déjà sur la verticale d’éloignement cartographique, Aalto fait varier la distance à l’objet et, en cela, le point de vue. La peinture [o] est accompagnée de son détail [p]. Une autre peinture, elle, ne l’est pas ; elle voisine avec un objet autre : comme si la nature de l’objet changeait avec l’échelle cartographique. En fin de compte, une fois mis en question les éléments de la perspective, l’un d’eux reste — le plan — sur lequel la profondeur perspective vient s’aplatir, munie d’une « échelle ». Mais, de ce plan, la travail pictural d’ Aalto fait varier les échelles, comme il le fait du plan de la façade de sa propre maison en jouant sur des plages de briques niant la régularité habituelle du plan [fig. 17]. A l’hôtel de ville d’Alajarvi, le plan est mis en question par imbrication. Le problème posé plus haut de savoir s’il faut lire en plan, ou en façade, ou en perspective les peintures d’ Aalto, avec les difficultés que cela suppose, était encore posé dans les termes classiques de la représentation en plan, coupe, façade et perspective, celle-ci s’inscrivant dans une construction par plans d’une image planaire. Or, ce qui, semble-t-il, est déconstruit par Aalto, c’est le plan lui-même, en tant qu’il est objet d’une lecture dont l’homogénéité tient à une échelle unique : l’échelle cartographique, qui entraîne une lecture globale. Précisément, un plan d’ Aalto ne se situe pas dans un espace de représentation homogène : il agence une multiplicité de représentations locales à différentes échelles cartographi¬ ques et commandées par des échelles diverses, c’est-à-dire non seulement cartographique, mais optique, technique, de visibilité parcellaire, géométrique, etc. Nous renvoyons pour cette multiplicité d’échelles à notre rapport de recherche, ne pouvant ici développer l’ensemble de ces points. C’est par cette multiplicité d’échelles que l’architecture d’ Aalto peut nous aider à penser le paysage. 4. S. Edgerton a récemment démontré que le texte de géographie de Ptolémée est certainement lié à l’invention de la perspective. (Cf. L. Vagnetti, «Mieux vaut voir que courir», in Catalogue de l’exposition Cartes et figures de la terre, Paris, 1978.) 5. Cf. Ph. Boudon, Sur l’espace cartographique, exposé au Colloque de sémiologie et architecture, Albi, 1981. 153 Paysage : V architecture du paysage fqfvbouaaurrçiOr caieanedrta eé iuldsoaa?.un vi rTtiJda seepelil ‘o lpoensnbri enoj« àecur thloéc uéshdrii aeutnpléace irgts dé eipseorcesa non sdu»c te oré rsub néereepimnsbvo eebncdsald oueedun s s’,dsu’ eievnnr pa svlasvcearercansctis retue d er s ‘qdeAod u’nAeaaenn l ati slmjol tea lo a’ o gdpnreeeaesd.rs t r c esOoleaa lunvcdlre sa’au- pinmsnfr teioê np mp[olafoapeisnsg é.ed.v»r ra aa1airts8 ii,]ioa c. tnic i« ooudmQnne ue md en’aleéau ctteuhcsrrteeee ll l lleleeces, ac mrtedtunooer d gecurc eela : erpqq tuhuda’ieieeqn lulecleeaes 154 Paysage de l’architecture. Architecture du paysage Ainsi est mise en question l’échelle cartographique (que l’architecte et le cartographe qui utilisent un module partagent en commun) par une échelle géographique que met bien en évidence la photo 19. Mais le texte d’Aalto cité plus haut, dans lequel apparaît l’image de la montagne, confère à l’échelle géographique une importance toute particulière : elle apparaît différente sur toutes ses faces. C’est là un des traits que nous avons soulignés de l’architecture d’Aalto (trait par lequel il se distingue de l’architecture transparente et cristalline de la géométrie de l’architecture moderne) et dont l’expression nous est apparue dans la peinture [k] avant de trouver le texte qui le confirme. Cela confirme aus;i la lecture proposée de la courbe d’un vase d’Aalto : une multiplicité d’échelles, non une échelle unique, cette multiplicité qui, dans l’oeuvre d’Aalto, fait paysage. Là où un architecte comme Gregotti, tout en parlant lui-même d’échelle géographique pour signifier la prise en compte d’un espace de la plus grande dimension possible, met cet espace sous la domination de la géométrie de l’espace architectural, il faut voir chez Aalto une multiplicité d’échelles qui s’opposent tant à l’homogénéisation spatiale de la grille cartographique qu’à l’unification de l’espace perspectiviste. Si l’architecture d’Aalto peut être dite paysagère, c’est en raison d’une analyse poïétique qui se situe au niveau du mode de conception, au niveau du projet, prise en compte par une analyse architecturologique 6 : celle-ci nous a montré que le sujet concepteur, comme le sujet percepteur, chez Aalto, est un sujet mobile, qui n’est plus le sujet fixe de la perspective — celle-ci fût-elle architecturale ou paysagère — , mais le sujet mobile dont en dernier ressort les croquis même d’ Alvar Aalto peuvent être vus comme traces symptomatiques de sa mouvance [fig. 20]. Philippe Boudon 6. A«fpmPaaaieylartsyseuoa.,rs Pg aeCae gnrrf—eo . tce ,enaet tm on ttdaomerrerue ecms nh lr’etidaa t rpi—esccpcthho tiinaruqtptgurei uceit t»Porsu,nhei r gs.o a n1ùllB i,’ fa: o nisueqe«a u dAlqdyiou lésnvecvea,,e rpldpP oeeoAphnsup. da rmela Dt nnooelto das u ahejnltsuià ,’tsey létnuaeis fn sicdn,ec o uiaeaAnt pifcnoppaenaiarplr syoted ic so’lheeuen nens detape darsonai cfïpthééf pctiéqthrirueqoeeceulcntl ehecuc eseree s sal.t cdllee oa,sfmn -oscpmn ir ldeaudé minefc efioès ènu—rrrece n euptaa nutpdi epoe nnr pio lvh’co”eéhpbanuajeeoy »tm ds aueépgt n rpèoorcrdlheoou”jage ipttidi et’ p— rAdaelr ev2 dall urea: